Patrick Rein : « Et si l’avenir du numérique européen était l’industrie ? »

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Transformation digitale : le jour d’après

Le Covid-19 a modifié les habitudes de travail des salariés qui sont passés très rapidement d’un mode de travail en présentiel au home office. Ce changement a été rapide car toutes les solutions numériques mises en œuvre existaient déjà et étaient accessibles au plus grand nombre grâce à une utilisation intuitive et un coût réduit. La plupart de ces solutions (cloud, visioconférences, travail collaboratif…) sont maîtrisées par les GAFAM* et viennent d’outre Atlantique.

L’Europe a perdu la bataille du numérique à grande diffusion. Les systèmes d’exploitation, les outils bureautiques, les bases de données généralistes, les réseaux sociaux, ne sont pas made in Europe ou alors très marginalement. En 2018, les dépenses R&D de la société Amazon étaient de 20,2 milliards d’€. Elles représentaient 40 % de la dépense nationale de recherche et développement (DNRD**) qui s’établissait à 55 milliards d’€. Les dépenses R&D des 5 sociétés GAFAM représentait un total de 66 milliards d’Euros !

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A la recherche des licornes

Pour renverser cette tendance, l’Europe mise sur l’émergence des licornes (Entreprise valorisée à plus de 1 milliard), mais les licornes sont rares et peuvent changer de propriétaires rapidement. Dans le domaine du numérique sur une population de 161 licornes dans le monde, les USA en comptent 93, la Chine 38 et l’Europe 15. Pour se développer rapidement et sûrement, les licornes ont besoin d’accéder très facilement à des capitaux et ont besoin de rentabiliser leur investissement sur un grand marché homogène (langues, règles, coutumes) qui accélérera leur développement vers un marché mondial. L’Europe de par sa structure et ses multiples cultures ne répond pas à ses critères.

La place de l’Europe dans le numérique

L’Europe garde quelques beaux atouts dans le numérique sectoriel (industrie, médicale, agriculture…) ou dans le numérique vertical (sécurité, IA, process, gestion, ingénierie…) avec des champions comme SAP, Spotify, Sage ou Dassault système qui sont des leaders mondiaux sur leurs marchés.

Cependant, cette crise sanitaire nous a révélé que l’Europe dépend numériquement et industriellement du reste du monde. Cette dépendance s’avère critique voir dangereuse. Nous ne connaîtrons certainement pas une relocalisation importante de notre industrie, la production de masse comme celle les téléphones portables restera majoritairement en Asie. Cependant, pour répondre à une demande croissante de santé, d’écologie mais également de produits personnalisés, nous allons assister à une réindustrialisation éthique respectant l’écologie et l’humain. Quel que soit le domaine, le numérique modifie les relations des entreprises avec leur environnement, il change les relations avec les clients pour atteindre la prédictivité des besoins, les produits deviennent connectés et intelligents, les process s’automatisent encore plus. Si elles veulent rester performantes et compétitives, ces industries Européennes devront mettre le numérique au centre de leur stratégie.

L’industrie apparaît de plus en plus comme un débouché intéressant pour le numérique. Nous pouvons créer une relation vertueuse entre l’industrie et le numérique. Sensibiliser l’industrie à la transformation numérique et lui proposer des solutions numériques locales et inversement permettre à des startups talentueuses de trouver des clients industriels. De ce fait, les entreprises innovantes européennes pourraient ouvrir une nouvelle voie de financement : la recherche de clients et de partenaires plutôt que la levée de capitaux.

Pour éviter la sur-dépendance, une des solutions qui d’offre à l’Europe est de favoriser les logiciels libres qui permettent de se soustraire au pouvoir des GAFAM. Le développement du numérique Européen passera par une stratégie de spécialisation. Les entreprises devront devenir leader d’un marché de niche que l’industrie peut fournir. Pendant des années, on croyait que l’industrie était vouée à disparaître au profit du numérique : et si aujourd’hui l’avenir du numérique européen était l’industrie ?

Patrick Rein, Associé de KMØ

*GAFAM : Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft

**DNRD : La dépense nationale de recherche et développement expérimental (DNRD) correspond à la somme des financements mobilisés par le secteur des entreprises (DNRDE) et par le secteur des administrations (DNRDA) situées sur le territoire national pour des travaux de recherche réalisés en France ou à l’étranger.