Gérald Cohen : « L’après se construira à l’échelle globale sur la rencontre du monde réel et de l’univers virtuel »

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Partout, les voix d’experts et de sommités du monde économique s’élèvent pour attirer notre attention sur l’après coronavirus, cet après qui s’annonce comme une catastrophe économique : « la pire crise depuis 1929 » voire « le recul inédit en termes de PIB, 5 ans ou même 10 ans ». Presqu’à l’opposé, des scientifiques, des philosophes, … émettent l’idée d’un basculement dans un monde nouveau. Comment anticiper l’après ? Quels seront les facteurs déterminants ?

Ce type d’anticipation est motivé par deux comportements distincts.

  • Le premier exprime une forme d’ego, l’enjeu est de laisser une trace dans l’histoire en démontrant que sa vision était la bonne. A ce jeu, une chance sur deux sachant que l’expert sera toujours capable de démontrer que votre compréhension de ses anticipations était insuffisante pour distinguer la justesse de son analyse, ex post bien sûr.
  • Le second est l’expression d’un instinct de survie : « j’anticipe pour m’adapter le plus tôt possible à la situation à venir ». Si nous sommes animés par la seconde approche, nous devons évaluer les conséquences de la situation actuelle.

Le coronavirus est un choc exogène sur un système économique globalisé. L’histoire récente révèle la capacité de l’économie à créer et à gérer des chocs endogènes essentiellement financiers mais elle nous laisse sans repères sur sa résilience face à des chocs exogènes. Les conflits géopolitiques démontrent une adaptabilité de l’économie mais souvent dans un contexte de pouvoir politique renforcé.

Dans les faits, l’économie subit une myriade de chocs externes, essentiellement sociologique, idéologique et technologique. Dans l’histoire récente, le séisme le plus fort est certainement la diffusion du numérique avec l’apparition d’internet. Les répliques de ce séisme se multiplient et modifient en profondeur tous les secteurs de l’économie, peut-être même ses fondations. La conjonction d’un séisme sanitaire et de répliques fréquentes de types technologiques conduira l’économie à s’adapter en orientant ces choix vers la valorisation du savoir. Le processus de transformation de l’économie, déjà engagé par la résultante des impacts technologiques, en sera renforcé. Ces chocs exogènes créent un champ de force qui interagit dans la même direction sur l’économie. L’exemple le plus probant sera certainement l’accélération de la dématérialisation de notre monde réel au profit d’un univers virtuel. La porosité entre ces deux dimensions constituera un « eldorado » économique.

Pourquoi craindre l’après coronavirus dans ce contexte ? Lors d’un séisme, les structures fragiles et déclinantes sont les premières destructions. L’économie est soumise depuis plusieurs décennies à un violent séisme technologique. Sa structure est déjà instable au moment où se produit ce choc sanitaire. En conséquence, la destruction de chaines de valeur devenues obsolètes est irréversible. Vertiges devant un monde passé qui s’éteint brusquement ? Poser des piliers pour soutenir des structures déjà fissurées serait une illusion. Profiter de ce choc sanitaire pour justifier la mise en place de renforts sur des organisations économiques déclinantes serait une erreur. Ces futures politiques économiques seront le résultat de choix de nos sociétés soit à créer une vision, soit à consolider un passé. Difficile d’interagir sur des mouvements économiques contraires dont les intérêts à court terme occultent souvent les enjeux à long terme.

Avec humilité, un principe de réalité peut nous conduire à élaborer des stratégies en cohérence avec les chocs actuels ou à venir. Les champs de force énoncés précédemment s’exercent à l’échelle globale avec une intensité qui en limite le nombre d’acteurs. A l’échelle locale, la multiplicité et la proximité des acteurs deviennent déterminantes dans la construction d’une forme de résilience. Le local prend l’expression d’un territoire qui se délimite par son autonomie de mouvement et la résilience se définit par la recherche d’un équilibre de vie dans son environnement.

L’après se nourrira des initiatives et des innovations à l’échelle locale selon un principe de résilience et d’équilibre. L’après se construira à l’échelle globale sur la rencontre du monde réel et de l’univers virtuel. L’après est multicolore. Souhaitons-nous contribuer à la couleur de notre territoire ?

Gérald Cohen
Université de Haute-Alsace,
Co-fondateur KMØ